Genre : drame psychologique, c'est franchement pas joyeux
Rating : PG-13
Note : Voilà ce qu'on peut considérer comme la suite de mon challenge d'avril "
La douce solitude". En tout cas c'est cette ambiance que j'ai utilisée pour écrire l'autre OS.
La Marionnette.
La ceinture claque encore une fois sur son dos, fendant l'air et s'abattant avec une violence inouïe, tranchant la chaire telle une lame aiguisée, ajoutant une nouvelle zébrure aux marques déjà présentes.
Lui laisse échapper un gémissement de douleur, ses dents mordant sa lèvre inférieure jusqu'au sang dans l'espoir vain de ne laisser passer aucun son. Son corps est paralysé par la douleur. Il sent le sang s'écouler de ses innombrables blessures et les larmes parcourir ses joues creuses sans qu'il ne puisse l'empêcher.
Chacune de ses terminaisons nerveuses lui renvoient un message de douleur, chacune de ces cellules crient au supplice. Il n'a plus conscience de rien, rien d'autre que le bruit du cuir qui s'abat sur sa peau, rien d'autre que l'odeur âcre du sang qui emplie l'air, rien d'autre que la souffrance à l'état brut dans laquelle il se noie.
Il a mal et c'est tout ce qu'il est encore capable de penser.
Il ne se débat plus depuis longtemps déjà. Il n'essaye plus d'échapper à son bourreau suite à ses six derniers échecs et à la douleur qui en a résulté. Il n'arrive plus à tenir debout, à présent, que parce qu'il est solidement attaché au mur.
Mais il ne supplie pas, il fait tout pour ne laisser passer aucun bruit. Et, même si parfois la douleur est trop forte pour qu'il arrive à réfréner ses cris, il ne lui reste que cela : cette fierté qui l'empêche de s'abandonner complètement au traitement dont il est victime, cet orgueil, certainement mal placé, qui le fait préférer se déchirer la lèvre plutôt qu'adresser une supplique.
Ses jambes l'ont lâché depuis longtemps et il n'est plus que suspendu par les poignets, ces derniers sont d'ailleurs trop engourdis, manquant sûrement de sang, pour qu'il ne les sente encore. Son corps se balance au fil des coups qui pleuvent, allant rencontrer tantôt la ceinture de cuir, tantôt le mur de pierre, toujours avec cette violence qui n'a pas décru et qui semble, au contraire, se faire de plus en plus sauvage.
Sa vision est brouillée par un mélange de larmes, de sang et de poussière, mais il ne veut de toute façon pas voir : cette cage de deux mètres carré dans laquelle il est enfermé, ce mur crasseux taché de sang – le sien et celui d'autres avant lui – auquel il est attaché, ce sol recouvert de papiers journaux sur lequel il s'est honteusement soulagé déjà plusieurs fois, cette ceinture qui claque encore et encore comme jamais rassasiée, et cet homme aux yeux de dément, au sourire prédateur, qui n'en a jamais assez de sa souffrance, qui se délecte de ses cris contenus et qui semble totalement envoûté par le sang qui coule, encore et toujours, de chacune de ses plaies.
Il ne sait plus quel jour on est, il ne sait plus depuis quand il est retenu prisonnier de ce monstre, il ne sait plus si c'est le jour ou la nuit. Il ne sait même plus le nombre de fois où il a dû subir cette torture et il a depuis longtemps arrêté de compter les coups et les nouvelles blessures se formant sur son corps.
Peu à peu il oublie tout. Tout ce qui n'est pas les barreaux de sa cage et la brulure du cuir sur sa peau s'efface lentement mais sûrement de sa mémoire. Envolés les rires avec ses amis. Disparus les moments de tendresse avec sa famille. Oubliés les instants complices avec sa sœur. Perdus à jamais ses rêves et ses envies.
Les coups détruisent ses souvenirs, les uns après les autres. Celui-là lui fait oublier le visage de son meilleur ami, cet autre fait disparaître de sa mémoire le doux sourire de sa mère. Un autre et il ne se rappelle plus de sa date d'anniversaire. Encore un et il n'est pas certain d'avoir toujours vingt-cinq ans. Et plus les coups pleuvent et plus tout ce qui fait sa vie s'en va, disparaît à jamais. Bientôt il ne saura même plus son propre prénom.
Il n'y a que sa douleur qui arrive encore à passer le brouillard dans lequel il est. Il a mal, c'est la seule chose dont il est sûr. Y a-t-il d'ailleurs eu un jour dans sa vie où il n'a pas eu mal ? Il ne sait plus. Il a tout oublier. Tout, sauf qu'il a mal.
Et les coups continuent de pleuvoir, encore et encore, inlassablement.
Et son dos n'est plus que chaire meurtrie, blessée, laissée à vif, sa peau autrefois hâlé devenue carmine, couverte de sang et de crasse. Il n'y a plus une partie de son corps qui n'a pas eu à subir la morsure du cuir, pas un morceau de peau qui ne s'est pas vu lacérer par l'accessoire devenu arme de torture.
Ses genoux se sont ouverts de par la force de ses rencontres avec le mur, sa tête dodeline sur son cou, à moitié sonné, presque inconscient, d'avoir trop tapé contre la pierre.
Il n'est plus qu'un pantin, pendu par les poignets, que le marionnettiste s'amuse à casser, briser, détruire, encore, toujours, dans un jeu morbide et mortel. Car la marionnette est trop abimée, bientôt le dernier fil la raccrochant à la vie cèdera, bientôt elle ne sera plus rien d'autre qu'un morceau de tissus troué et taché.
Parce que le marionnettiste est un grand enfant, au fond, et, comme tous les enfants, il casse ses jouets et puis en redemande d'autres. Encore quelques minutes et le jouet sera en miettes, bien trop cassé pour pouvoir être réparé, et le marionnettiste pourra alors chercher un nouveau jouet qui, il l'espère, tiendra plus longtemps et l'amusera plus encore que celui-là.
FIN.